Regroupés au sein d’un groupe dynamique, les Inventeurs et Innovateurs de Côte d’Ivoire entendent aider au développement du pays. Cependant, malgré leur génie créateur, l’accès des populations à leurs produits demeure une préoccupation, faute de valorisation. Interrogé, le président de la FEDINCI se prononce sur la question, sollicitant un engagement fort des autorités en la matière, en raison du poids des inventions dans l’émergence de la nation.
Cette rencontre, qui se situe en prélude à la 4ème édition du Salon international d’Abidjan, a eu lieu dans les locaux de la corporation sis à Abidjan Plateau.
Bonjour Monsieur le président. Pouvez-vous nous décliner votre état civil ?
Bonjour ! Je suis M. Coulibaly Pierre Djibril, président de la Fédération des Inventeurs et Innovateurs de Côte d’Ivoire (FEDINCI). Nous avons 300 brevets d’invention.
C’est quoi une invention ? Une invention est toujours consacrée par un brevet. C’est-à-dire quand un citoyen de l’un de nos Etats pense qu’il a inventé, il produit un rapport, une sorte de mémoire d’invention. Il l’introduit au niveau de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), seule structure à laquelle la Côte d’Ivoire a adhéré. Son siège est à Yaoundé, au Cameroun, elle regroupe 17 pays.
Plusieurs commissions statuent pour savoir si c’est vraiment un travail d’invention. C’est-à-dire quelque chose qui n’a jamais existé. Au bout d’un an, voire un an et demi, elles décident de délivrer ou pas un brevet d’invention à la personne qui réclame son titre de propriété sur cette nouvelle technologie.
Mais il y a d’autres organisations qui regroupent les pays anglophones. Au plan mondial, il y a l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) basée à Genève en Suisse. A tous ces niveaux, n’importe qui peut déposer une demande et obtenir un brevet d’invention.
Vous avez parlé de brevet. De quoi s’agit-il ?
Un brevet, c’est un décret qui est délivré à un individu ou une personne morale, pour faire d’elle la propriétaire exclusive d’une nouvelle connaissance. Cela lui donne le privilège d’exploiter exclusivement ce brevet, ou de donner à d’autres l’autorisation de l’exploiter, durant 20 ans. Mais la concurrence n’est pas acceptée sur la technologie ou une connaissance pour laquelle il y a un brevet d’invention.
Tout le reste, les marques, modèles, ne sont que des innovations ou des créations. Il faut dire que le brevet d’invention est le niveau le plus haut des titres de propriété intellectuelle.
Parlant de brevet d’invention, quels sont les critères qui président à sa délivrance ?
Il y a deux grands critères. Le premier repose sur le caractère innovant dans le domaine que vous revendiquez. On l’appelle l’inventivité. Il faut démontrer que dans le monde entier, personne n’a jamais revendiqué une telle technologie. Le deuxième critère aussi important, c’est de montrer son utilité, dans le règlement ou la résolution d’un problème.
En 2010, vous avez créé une invention dans le domaine informatique. De quoi s’agit-il ?
Je suis l’inventeur du procédé de conception du logiciel de gestion universel. C’est en 2010 que j’ai déposé la demande et en 2011, le brevet a été délivré. C’est un procédé que j’ai utilisé pour créer NEXPRO UBS, premier logiciel de gestion universel, réputé être un logiciel révolutionnaire depuis 10 ans.
Maintenant pourquoi n’est-il pas vendu ?
C’est le même problème que les inventeurs ont. Nous avons des inventions. Mais nous ne voyons rien sur le marché, faute de valorisation.
M. le président, en tant que membre fondateur, vous assurez la présidence de la FEDINCI depuis le 30 mars 2016. Qu’est-ce qui a motivé la mise sur pied de cette association ?
Vous savez, comme je l’ai dit plus haut, une chose est d’être inventeur. Mais mettre en valeur cette invention en est une autre.
Donc nous nous sommes mis ensemble, pour être mieux entendus, avoir un interlocuteur commun, l’Etat, afin de lui exposer nos problèmes. Mais il se trouve que du côté de l’Etat, il n’y a pas d’interlocuteur, nous ne savons pas à qui nous adresser, même rattachés au ministère de l’industrie. Il n’y a pas de ministère consacré à l’invention et à l’innovation technologique en Côte d’Ivoire.
Avez-vous déjà fait des suggestions à l’endroit des autorités ?
Nous faisons des suggestions, nous demandons qu’il y ait un ministère. Mais jusque-là, nous n’avons pas encore de réponse au niveau de l’Etat de Côte d’Ivoire, qui pratique la politique du laissez-faire. C’est-à-dire on n’organise pas le milieu, on laisse faire. Alors que c’est le domaine de la réflexion, de la créativité.
Or tous les pays développés y sont parvenus, en s’appuyant sur leurs inventions. Tout brevet appartient d’abord au pays, qui se charge de sa valorisation, en tant que richesse nationale. Il s’agit d’aider à transformer le brevet en produit de marché, jusqu’à ce qu’une entreprise prenne le relais.
Comment se porte la fédération actuellement ?
La FEDINCI est une association dynamique. En six ans, nous avons fait en sorte qu’en Côte d’Ivoire on parle d’invention et d’innovation au quotidien, avec le soutien des médias. Nous avons également produit un catalogue des inventions, une sorte de répertoire où il y a toutes les inventions du pays.
Nous avons fait venir de Bruxelles le Salon “Brussels Innova”, dont nous allons en parler plus loin.
Combien de membres compte la fédération ? Quels sont les critères d’adhésion ?
La FEDINCI est une faitière. Donc tous ceux qui sont du domaine du génie sont considérés comme membres potentiels. Concernant les adhésions, nous avons 150 adhérents, qui ont la carte de membre, participent régulièrement aux activités.
Pour les critères d’adhésion, il faut avoir un titre de propriété intellectuelle, soit vous avez un brevet d’invention ou un titre de modèle, marque déposée, soit un droit d’auteur. L’important, c’est que vous avez un document officiel qui vous identifie comme un créateur.
En matière d’invention, peut-on avoir une idée de quelques projets déjà réalisés ?
Bon ! C’est pour cela que nous déplorons le manque de valorisation. Personnellement, en tant que président, je trouve dommage qu’avec autant d’inventions, on ne peut pas trouver sur le marché quelque chose.
Ce n’est pas parce qu’il n’en existe pas, mais il faut en produire en grand nombre, pour arriver à ravitailler l’ensemble du circuit de commercialisation. Donc il faut industrialiser, ce qui suppose qu’il faut valoriser.
Par exemple, nous aimons tous manger le foutou, pilé à la main. Dans les immeubles, cela fait du bruit, ce qui dérange les voisins. Pour aider à résoudre ce problème, un confrère a mis en place un dispositif sur lequel on met le mortier. Il absorbe les secousses en pilant. Cela augmente le confort et évite les problèmes de voisinage. Mais on n’en trouve pas partout, parce que les moyens d’en produire en grand nombre font défaut.
C’est le même problème avec le logiciel NEXPRO, censé régler le problème de la gestion, démocratiser la gestion informatique, dont je vous ai parlé.
Que comptez-vous faire face à ces difficultés ?
L’Etat n’ayant pas encore répondu à nos appels, nous avons créé l’Agence de Gestion de l’Invention et de l’Innovation (AGINOV). Nous comptons démarrer les activités juste après le salon. Nous allons mutualiser nos efforts. Cela consistera à aider un à se réaliser, ensuite un autre, ainsi de suite.
C’est ce que nous pouvons faire en tant que privés, mais nous avons toujours besoin de l’Etat, parce que les produits que nous mettons sur le marché sont inconnus. Il y a donc un gros travail à faire, la promotion des produits inventés in Côte d’Ivoire.
On a dit pendant des années que l’Ivoirien n’aime que ce qui vient d’ailleurs. Mais je pense que ce n’est plus vrai, l’Ivoirien a soif de ce qui vient de chez lui. On a coutume de dire que le développement du pays repose sur l’agriculture. Mais ce qui va nous enrichir, ce sont nos produits issus du génie. Nous pouvons nous industrialiser à partir de nos produits. Tous les grands pays développés utilisent le brevet d’invention comme un outil de stratégie économique.
Parlant de brevet, bénéficiez-vous de mesures d’accompagnement au niveau des droits à payer ?
C’est au niveau de la promotion qu’il n’y a rien. Au niveau de la protection, l’Etat nous aide. Le brevet, c’est à 590.000 CFA ou 600.000F CFA. L’Etat subventionne et finalement, on ne paie que 22.500 F CFA. L’Etat continue à payer pendant dix ans.
M. le président, le 07 juillet 2016, l’Etat a adopté le projet de mis en place du Fonds Ivoirien pour l’Innovation (FII). Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Oui ! Ce fonds a été annoncé. Mais nous n’en avons pas vu la couleur. Sinon que c’était adressé, justement, aux inventions et innovations, pour encourager ce secteur. Ce fonds pouvait servir de garantie.
Concernant les inventions, le monde actuel fait face à un phénomène, la piraterie.
De quels instruments juridiques disposez-vous pour assurer la protection de vos travaux ?
L’OAPI est appelée à nous défendre face à tout litige lié au piratage. Lorsque vous êtes copié, vous pouvez vous plaindre auprès des institutions, police économique, partout où vous voulez. Mais les juges, avant de se prononcer, vont interroger l’OAPI, afin de voir si oui ou non, il s’agit d’un piratage. Si le problème est avéré, c’est la justice qui fait son travail. Dans le cas contraire, on vous dit que ce n’est pas votre produit qui a été copié.
Avez-vous déjà été confrontés à ces genres de situation au niveau de l’association ?
Il y a plusieurs de nos camarades qui ont été injustement copiés. Ils continuent de crier justice. Je ne connais pas de cas où l’inventeur a été dédommagé. Ce que nous faisons, jusque-là, c’est de faire en sorte que nous soyons plus sur le marché que celui qui a copié. C’est l’occupation du marché. Nous, nous pouvons y aller, personne ne nous dérange. Mais lui, s’il y va, nous pouvons l’attaquer
Nous avons une commission de lutte contre la contrefaçon, la Commission Nationale de Lutte contre la Contrefaçon (CNLC), nous pouvons les saisir et ils sont aussi censés nous défendre.
Du 31 mars au 02 avril 2022, se tiendra à Abidjan la 4ème édition du Salon international de l’innovation.Pourquoi cet événement devenu une institution ?
A la faveur des salons internationaux, je me suis retrouvé à Genève, une première fois, en 2014, pour me remettre le prix International star Awards for quality.
Ensuite, ayant vu le travail extraordinaire abattu, lors du salon de Bruxelles, en tant que membre de jury, j’ai compris qu’il y avait quelque chose à faire. C’est qu’au niveau africain, il y ait un salon de ce type. J’ai réussi à obtenir des organisateurs de “Brussels Innova”, la signature d’une convention en 2016, pour le repiquage, sous contrat, de ce salon à Abidjan.
L’événement, démarré en 2018, entend offrir, à nos confrères, l’opportunité de pouvoir exposer en terre africaine, aidant à valoriser nos inventions.
Nous nous sommes rendus compte qu’un salon de cette dimension est un puissant instrument de souveraineté. Avant, la Côte d’Ivoire était avant-dernière dans le classement mondial des inventions et de l’innovation. Avec la tenue de ce salon, le pays a fait un bond de 23 places. Il est devenu 103ème mondial et on a intégré le top 10 africain.
Il y a combien de participants attendus, quelles en seront les innovations ?
On n’a pas de limitation en termes d’espace. Aux premières éditions, nous étions 70. L’année dernière nous étions autour de 100 participants. Cette année, on s’attend à 200 inventions, avec 150 exposants. On peut dépasser nos prévisions en termes de nombre. Puisque ce matin, nous avons enregistré 70 inscrits.
Au niveau des innovations, il sera question notamment de la mise en place d’un site internet dédié aux échanges, accessible à tous, d’une initiative d’ambassadeurs de l’invention en Côte d’Ivoire. Ce projet inclut également l’implication directe de l’organisation internationale de la propriété intellectuelle, la mise en place d’un système d’intégration international des inventions.
M. le président, valoriser les inventions, une affaire d’Etat, thème de cette 4ème édition. De quoi s’agit-il ?
Nous voulons attirer l’attention de l’Etat, pour susciter son implication dans cette affaire. C’est un scandale qu’avec 300 brevets d’inventions, on ne voit rien sur le marché. Il faut que les Ivoiriens, la communauté mondiale, aient accès à ces créations. Il faut que l’Etat s’approprie ce salon.
Durant ces trois jours, peut-on avoir une idée du contenu de ce qui sera proposé aux visiteurs ?
Pendant trois jours, il faut rendre accessible aux visiteurs tous les produits, il est interdit à un exposant de démonter son stand avant la fin du salon, parce qu’un visiteur peut voir un produit aujourd’hui. Et une fois arrivé à la maison, il peut décider de revenir l’acheter le lendemain après réflexion. Pour que le visiteur puisse rencontrer également les inventeurs, échanger avec eux. I
l y a trois panels au cours desquels le thème va être traité. Des interlocuteurs viendront de partout, y compris des représentants de l’Etat, pour s’exprimer sur le sujet. Au bout du compte, il va sortir une communication de l’ensemble des panels, et on va déposer un rapport au niveau du Gouvernement.
Autre chose, c’est qu’il y a des prix qui vont être remis. Des médailles d’or, argent, bronze, des prix spéciaux. L’ambassade d’Israël remettra le grand prix du salon, le Prix Jérusalem. Nous espérons voir reconduit le prix Alassane Ouattara du jeune inventeur. Le salon va être clôturé par un diner gala.
Parlant de la remise des prix, quels sont les critères de sélection des candidats ?
Il y a des critères généraux qui sont ceux d’utilité. Toutes les inventions sont utiles. Mais il s’agira pour les membres du jury d’être sensibles aux arguments de ceux qui vont exposer, selon l’actualité du produit.
En dehors des critères généraux, les donateurs des prix peuvent en imposer. Ils peuvent par exemple conditionner l’attribution de leurs prix aux projets en lien avec l’éducation, la santé, etc.
Quelles sont les personnalités attendues à ce salon ?
Les salons “Abidjan innova” ont pour parrain le Gouverneur du District d’Abidjan, Beugré Mambé. Il est placé sous le patronage du premier Ministre Patrick Achi, avec le ministre de l’Industrie comme président institutionnel. Le président de l’ASCAD en est le président d’honneur. L’Israël est le pays invité d’honneur, depuis la 3ème édition tenue en 2021, modèle en termes de génie, d’inventions.
M. le président, nous sommes au terme de cet entretien. Avez-vous d’autres messages à passer ?
Ce que je voudrais ajouter, c’est que l’Etat de Côte d’Ivoire nous écoute. On écoute les discours du premier Ministre, du Président de la République. Mais ils ne disent rien, ils ne réagissent pas. Nous ne sommes pas contents.
Aux jeunes inventeurs, je leur dis que c’est l’union qui fait la force. Je leur demande d’inventer et de nous rejoindre. Ensemble, nous allons gagner.
Aman Roger