Le Premier ministre libanais a démissionné mardi treize jours après le début du mouvement de contestation populaire qui a attiré dans la rue des dizaines de milliers de personnes. Elle est intervenue quelques heures après de violents affrontements entre manifestants et contre-manifestants.
Avec notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh
La démission du gouvernement était une des principales revendications des contestataires et le président Michel Aoun doit désormais convoquer des consultations parlementaires contraignantes pour désigner un nouveau Premier ministre, probablement cette semaine pour éviter une trop longue vacance du pouvoir.
Le Parlement est dominé par les partis politiques que les manifestants tiennent pour responsables de tous les maux du Liban et ce sont pourtant bien ces mêmes partis qui finalement choisiront le futur Premier ministre.
Deux scénarios possibles
Deux scénarios sont donc désormais possibles. Soit Saad Hariri est de nouveau désigné Premier ministre mais les tractations pour la formation du futur cabinet seront difficiles, d’autant qu’elles auront lieu sous l’étroite surveillance d’une rue bouillonnante. Soit Michel Aoun, le Hezbollah et leurs alliés – qui sont majoritaires au Parlement – choisissent un autre candidat, ce qui mécontentera la rue sunnite, car le Premier ministre est toujours issu de cette communauté, et ouvrira une nouvelle dimension dans la crise.
Quoi qu’il en soit, dans cette confrontation entre la rue et le pouvoir, les perdants de cette manche sont le président Michel Aoun et le Hezbollah, qui ne souhaitaient pas la démission de Saad Hariri sans contreparties politiques.
« Pourquoi la crise éclate aujourd’hui ? C’est qu’il y a moins d’argent à se répartir et l’État libanais est en situation de faillite, pratiquement de banqueroute. Par exemple, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui versaient pas mal d’argent, en particulier à une partie de la communauté sunnite incarnée par Saad Hariri, aujourd’hui ne veut plus mettre de l’argent au Liban puisqu’elle estime que le Premier ministre Saad Hariri n’est pas en mesure de contrer l’influence du Hezbollah soutenu par l’Iran qui est l’ennemi juré des Saoudiens », détaille Agnès Levallois, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études méditerranéennes Moyen-Orient.
Un changement de système
Il est donc trop tôt encore pour désigner les gagnants. En tout cas, les manifestants, qui ont placé la barre très haut en exigeant un changement du système confessionnel, basé sur une répartition des pouvoirs entre les communautés, ne verront pas leurs vœux exaucés à ce stade.
« La révolte populaire transcende les communautés et les régions. Et la classe politique dans son ensemble n’a pas compris, n’a pas vu venir cette fronde. Et elle est désarmée, elle ne sait pas quoi faire. Le seul qui s’exprime aujourd’hui, c’est le chef du Hezbollah qui va bientôt faire son troisième discours en moins de deux semaines sur cette crise. Il a en vue de garder le statu quo, c’est-à-dire un État qui le protège alors que le vrai État, la vraie décision, est entre les mains du Hezbollah qui est le bras armé de l’Iran en Méditerranée », analyse Antoine Basbous, politologue et directeur de l’Observatoire des pays arabes.
Saad Hariri a démissionné, car il ne lui était sans doute pas possible de réaliser toutes nos demandes. On va rester ici, jusqu’à obtenir la démission du chef du Parlement et du président. On veut que tous démissionnent, pas juste lui.
« Ce que demandent aujourd’hui les manifestants, c’est de sortir de ce système puisque la nature même de ce système conduit finalement à l’impasse dans laquelle la classe politique. Ce système d’alliance entre ces différentes communautés conduit un marchandage permanent entre ces chefs de communauté pour se partager le gâteau », poursuit Agnès Levallois.
Les manifestants lâchent du lest tout en continuant le mouvement
Il faudra donc attendre la composition du futur cabinet pour voir si certaines de leurs demandes portant sur la lutte contre la corruption, ont été prises en compte. Mais pour la première fois depuis le début du mouvement de contestation, des signes de détente sont en tout cas apparus ce mercredi avec la réouverture de nombreux axes routiers qui étaient bloqués depuis près de deux semaines. L’armée libanaise a publié un communiqué demandant aux manifestants de lever les barrages routiers, afin que « la situation revienne à la normale ».
Ces derniers jours, de fortes tensions étaient apparues entre des manifestants et des citoyens qui se plaignaient du blocage des principaux axes routiers, notamment l’autoroute qui relie le Nord au Sud.
L’armée libanaise privilégie la négociation avec les manifestants pour la réouverture des voies, mais dans certains cas, la troupe est intervenue pour disperser les contestataires et déplacer les tentes installées par les manifestants, comme cela s’est produit dans la plaine orientale de la Békaa, ou au Mont-Liban.
Si les routes se débloquent progressivement, les rassemblements, eux continuent sur les places des grandes villes, alors que les écoles, les universités et les banques sont restées fermées. Les contestataires ont repris possession de leur campement dans le centre-ville, dévasté et incendié par des contre-manifestants mercredi. De nouvelles tentes y ont été installées, présageant de la poursuite du mouvement, mais à une cadence moins élevée, jusqu’à la réalisation de tous les objectifs.