Depuis La Haye où il réside malgré son acquittement par la CPI, Charles Blé Goudé est très préoccupé par la situation sociopolitique actuelle en Côte d’Ivoire. Dans la déclaration ci-dessous, l’ancien leader de la galaxie patriotique pro-Gbagbo interpelle le régime Ouattara sur les risques qu’encourt le pays si l’élection présidentielle d’octobre était maintenue à la date du 31 octobre, sans que certaines conditions requises ne sont créées en amont. Lisons ensemble le message de Charles Blé Goudé.
Blé Goudé: “Organiser le scrutin électoral du 31 Octobre 2020, dans des circonstances pareilles, serait conduire notre pays droit dans le mur”
Ivoiriennes, ivoiriens
Depuis ma sortie de prison, je me suis régulièrement adressé à vous, pour partager avec vous mon espérance en une côte d’ivoire qui compte dans le concert des nations. Ces différentes adresses m’ont aussi permis de vous exprimer mes inquiétudes ainsi que mes préoccupations en lien avec la situation sociopolitique de notre pays.
Aujourd’hui, je me tiens encore devant vous relativement aux tensions et autres violences qui ont secoué et endeuille notre pays ces dernières semaines. En effet, depuis la décision du Président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, la Côte d’Ivoire a renoué avec ce qui malheureusement, s’apparente désormais à une culture électorale dans notre pays : la violence.
Le troisième mandat du Président de la République, s’il est le souhait des militants du RHDP, reconnaissons-le, est controversé, si non conflictuel, en ce qu’il a déjà causé des morts et des blessés. Ce troisième mandat compte déjà ses premiers déplacés dans plusieurs localités du pays. On aurait dit que notre pays traine malheureusement cette mauvaise tradition de violences électorales depuis plus de deux décennies.
Elle a Commencé avec quelques blessés en 1990, lors des premières élections multi partisanes, pour occasionner ses premiers morts en 1995 au compte du boycott actif ; le scrutin de l’an 2000 n’a pas fait l’exception, tant l’on se souvient encore « des conditions » dans lesquelles le Président Laurent Gbagbo est parvenu au pouvoir, malgré sa victoire à ces élections.
En 2002, soit deux ans seulement après les élections, une rébellion armée a endeuillé le pays, pour des raisons que ses auteurs ont abondamment expliquées, et sur lesquelles je ne compte pas revenir ici. Toujours est-il que les élections de 2010 qui avaient pour mission de normaliser et de stabiliser la vie politique, se sont muées en une guerre civile.
Au lieu de compter les votes des ivoiriens, ce sont plutôt les corps sans vie des ivoiriens qui ont été comptés, hélas. Officiellement, l’on parle de plus de 3000 morts, sans oublier les milliers de nos concitoyens toujours en exil pour les uns, en prison pour d’autres, du fait de cette crise. Même les élections de 2015 qui ont eu lieu en l’absence du plus grand rival du Président Ouattara, se sont aussi soldées par plusieurs morts et blessés.
Les observateurs de la vie politique ivoirienne se souviennent encore des violences et des tueries consécutives aux élections municipales de 2018. Bassam, Port-Bouët, plateau, Abobo, Divo, pour ne citer que ces exemples parmi tant d’autres. Un tel déclenchement de violences pour de simples élections locales, laissait déjà présager les signes avant-coureurs d’un embrasement certain.
C’est peu dire, d’affirmer que la Côte d’Ivoire est devenue une poudrière en attente d’explosion. Les ingrédients sont déjà là, le bûcher est fait, il n’attend que la flamme. Et la décision du Président Ouattara de briguer un troisième mandat, a mis le feu aux poudres. Depuis l’annonce de cette décision, la Côte d’Ivoire a commencé à compter ses premiers morts, ses premiers blessés et ses premiers prisonniers politiques préélectoraux.
Les sources officielles indiquent une dizaine de morts et plusieurs blessés. L’organisation de défense des droits de l’homme, Amnesty International fait état d’agressions de manifestants par des milices armées proches du pouvoir. Si à Bonoua, MIESSAN KOUAO ARSÈNE, un jeune de 18 ans, a trouvé la mort par balles, dans la ville de Divo, un autre jeune à été brûlé vif.
Quant à BAHI ALAIN JUNIOR, originaire du village de Grand-Bélam, dans la sous-préfecture de Guiberoua, de jeunes miliciens l’ont tabassé. Après l’avoir mis nu, ses agresseurs l’ont promené à travers toute la ville de Guibéroua, l’obligeant à scander des slogans à l’honneur du Président Alassane Ouattara. Ladite scène de torture et d’humiliation a eu lieu sous la houlette de monsieur SIÉ KAMBOU, président de la jeunesse du RHDP à Guibéroua, connu sous le sobriquet de HARLLEY.
A ce jour, la justice reste toujours muette a ce sujet. Ce sont plutôt, deux dames, Pulchérie Gbalet, membre de la société civile, Anne-Marie Bonifon, présidente de la section Côte d’Ivoire de Générations et Peuples Solidaires (GPS), et leurs collaborateurs, qui croupissent en prison. Ce triste tableau nous interpelle tous.
Il nous met face à nos responsabilités. Compter les blessés et les morts, avant, pendant et après les élections en Côte d’Ivoire, n’est pas une fatalité. C’est pourquoi, comme je l’avais déjà fait en 2010, je voudrais, pendant qu’il est encore temps, tirer la sonnette d’alarme.
Mes chers compatriotes, chers amis et partenaires de la Côte d’Ivoire, je vous en conjure, ces élections créeront plus de divisions, plus de blessés, plus de déplacés, plus de morts, si nous nous ne nous asseyons pas au préalable autour d’une table.
Plus que jamais, notre pays est en quête d’unité. C’est pourquoi ces élections ne doivent pas se tenir. Organiser le scrutin électoral du 31 Octobre 2020, dans des circonstances pareilles, serait conduire notre pays droit dans le mur. Il nous faut repousser le scrutin, mettre ce report à profit pour organiser des assises nationales qui permettraient de rechercher le consensus.
Ces ASSISES NATIONALES, seront l’occasion de réunir autour d’une table, les forces vives de la nation, pour discuter des sujets, même les plus fâcheux. Ce scrutin ne doit nullement être considéré sous la forme d’une compétition entre des courageux d’un côté, et des peureux de l’autre côté. Il s’agit plutôt ici, que nos égos en souffrent, de rassembler les filles et fils de la Côte d’Ivoire, en vue de sauver des vies humaines et de construire une Côte d’Ivoire réconciliée avec ses institutions.
Pour une Côte d’Ivoire ambitieuse et unie dans sa diversité, source de notre richesse : – il ne faut pas avoir peur de doter notre pays d’une Commission électorale libre de tout influence du pouvoir et des politiques ; – il ne faut pas avoir peur des élections transparentes et inclusives ; – il ne faut pas avoir peur de doter notre pays d’institutions crédibles et impersonnelles ; – il ne faut pas avoir peur de nommer un juge indépendant a la tête du conseil constitutionnel ;
– il ne faut pas avoir peur de libérer la parole politique, pour que s’exprime la pluralité ; – il ne faut pas avoir peur de la confrontation des idées ; – il ne faut pas avoir peur de l’audit de la liste électorale pour la rendre crédible. En un mot, il ne faut pas avoir peur de la démocratie. Que Dieu bénisse et protège la Côte d’Ivoire !
Fait à La Haye, le 06 septembre 2020
Charles Blé Goudé
Président du COJEP