C’est le 27 mai 1987 que Thomas Sankara a signé son arrêt de mort. Ce mercredi-là, il a réuni tous les dirigeants des organisations participant au Conseil national de la révolution (CNR). SENNEN ANDRIAMIRADO, grand reporter à Jeune Afrique, était devenu un ami de Sankara avec qui il parlait en toute franchise. Sankara lui avait demandé de venir le voir dans les mois qui précédaient son assassinat mais ce dernier n’avait pas pu. Lorsqu’il a pu venir, après l’assassinat, il a fait son enquête dans des conditions difficiles puisque la plupart des partisans de Sankara étaient en prison. .. << Pourquoi a-t-il été tué ? Par qui ? Et comment ? Parce qu’il voulait rassembler en un vaste front les différents mouvements révolutionnaires et créer une force spéciale d’intervention attachée à sa personne, Thomas Sankara a été assassiné. Avec préméditation. De sang froid. Jeune Afrique avait promis de faire la lumière sur sa fin tragique : voici comment il a vécu ses dernières heures tandis que ses ennemis exécutaient leur plan. Dès le début, les ordres étaient clairs : « Il faut le neutraliser à tout prix. — Et s’il résiste ? — Anéantissez-le. » C’est le 27 mai 1987 que Thomas Sankara a signé son arrêt de mort. Ce mercredi-là, il a réuni tous les dirigeants des organisations participant au Conseil national de la révolution (CNR) : l’ ULC (Union des luttes communistes), l’ULC-R (Union des luttes communistes -Reconstruites), l’UCB (Union communiste burkinabé), le GCB (Groupe communiste burkinabé) et l’OMR (Organisation militaire révolutionnaire). L’idée du président est alors d’amener tous ces groupes, à la fois partenaires et rivaux, vers l’unité. Bien que les chefs de tendances craignent la création d’un parti unique, ils acceptent de signer une déclaration de principe sur la nécessité (révolutionnaire) de s’unir, y compris par l’auto-dissolution éventuelle des groupes. Il y a pourtant déjà des divergences : l’ULCR demande la réintégration de la LIPAD (Ligue Patriotique pour le Développement NDLR) , le groupe marxiste le plus ancien, au sein du CN R et, par-delà, au sein du front marxiste-léniniste qui serait à créer ; l’UCB, au contraire, se déclare hostile à tout élargissement de l’actuel CNR et propose une sélection très sévère des groupes qui doivent y être maintenus. La tentative d’union commence donc par une nouvelle guerre de chapelles, voire par un ostracisme renforcé. Mais Sankara croit toujours que lorsqu’une cause est juste, tout le monde finit par y adhérer. En juin 1987, le capitaine Blaise Compaoré, numéro deux du régime, est en voyage à l’extérieur pour trois semaines, dont deux en Chine. Il est accompagné du capitaine Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des CDR (Comités de défense de la révolution). Au cours de leur périple, les deux hommes ont tout loisir de discuter de « la nouvelle lubie » du PF (président du Faso). Tous deux, promoteurs et protecteurs de l’UCB, appréhendent que « l’union par l’élargissement » voulue par Sankara n’aboutisse à noyer les groupes marxistes les plus durs : le président est tenté de proposer non seulement à la LIPAD mais aussi à l’UNAB (Union nationale des anciens du Burkina), à l’UNPB (Union nationale des paysans du Burkina) et même au Mouvement pionnier (qui regroupe des enfants jusqu’à l’adolescence) de participer au vaste Front qu’il préconise. Il n’a d’ailleurs pas avoué son idée secrète : il se sent prisonnier d’un CNR trop fermé et l’intégration de nouveaux groupes, même non politiques et surtout pas marxistes, pourrait banaliser les groupuscules rivaux membres du Conseil. A son retour à Ouagadougou, dans la première semaine de juillet, Blaise Compaoré confie à Sankara ses inquiétudes et, surtout, le prévient du danger que présenterait un parti unique. Le président cède et reconnaît qu’un parti monolithique serait contraire à sa propre idée de la révolution et de la démocratie. THOMAS SANKARA, leader et père de la révolution au BURKINA FASO, pays des hommes intègres C’est ainsi que, le 3 août 1987, lors d’un « Direct avec le peuple » à la télévision, il rectifie sa position : « Une unité ne se décrète pas, elle s’assume comme une démarche volontaire, une démarche militante. » Mais les divergences de tendances provoquent déjà des affrontements sur le terrain. A l’Université, à l’Asecna, des militants de l’ULCR et de l’UCB en viennent presque aux mains. Encore optimiste, Sankara se contente de banaliser les incidents : « II faut simplement voir ces luttes, ces affrontements, comme étant la volonté de résoudre les contradictions. » Hors du Burkina, on considère aussi ces incidents comme des querelles coutumières entre groupuscules marxistes. Une autre tradition, propre au Burkina celle-ci, va cependant envenimer le climat politique. Se cachant derrière des dénominations fantaisiste (Association de camarades honnêtes ou Association des démocrates unis, etc.), les groupes rivaux se lancent dans une guerre des tracts, dont Ouagadougou a le secret. Rien n’est épargné à personne. Même les protecteurs, supposés des frères ennemis, ont droit aux diffamations les plus ignobles. Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo deviennent, à tour de rôle, des cibles privilégiées. Accusés de corruption, de népotisme, de détournements de fonds ou d’obsession sexuelle. Malgré l’outrance et la grossièreté des tracts, les quatre chefs historiques de la révolution burkinabé en arrivent à se soupçonner les uns les autres. Le 3 septembre 1987, un tract particulièrement ordurier à l’encontre de Sankara et de son épouse est discuté lors d’une réunion de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR). Réunion houleuse au cours de laquelle de jeunes officiers proclament : « Quiconque s’attaque au président du CNR s’attaque à la révolution. » Et d’accuser indirectement « Blaise Compaoré et autres » d’être à l’origine du tract. C’est l’époque où les fidèles de Sankara commencent à craindre une tentative de putsch du capitaine Biaise (voir J.A. n° 1400 du 4 novembre 1987). Ce dernier, en minorité au sein de l’OMR, demeure militairement l’homme fort : les commandos de Pô, dont il est le seul patron depuis 1981, lui vouent une fidélité absolue. Sankara ne croit pas qu’un coup d’État réussirait contre lui. Ses amis non plus qui estiment en revanche qu’un attentat n’est pas à exclure. Ils soumettent au président un projet de parade : mettre sur pied une force d’intervention qui relèverait non de l’armée mais du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité et qui s’appellerait FIMATS. Le ministre est précisément Nongma Ernest Ouedraogo, ami d’enfance et frère adoptif de Sankara. Pour entraîner et diriger cette force dont les deux cents hommes seront triés sur le volet, on fera appel à celui qui n a de dieu que Sankara : Vincent Askia Sigué, un baroudeur au passé trouble dont le seul savoir consiste à se battre ou à tuer. Sigué n’est pas militaire mais pour commander la Force d’intervention, il faut lui attribuer un grade. Celui, de sous-lieutenant, préconise Sankara. Une erreur. Dans l’armée, il l’a oublié, on ne badine pas avec les grades et surtout, le commandant Jean-Philippe Lingani, chef des Forces armées, et le capitaine Blaise Compaoré ne veulent pas faire un tel cadeau a un Sigué que tous craignent et que beaucoup détestent. Sankara a tout de même compris que l’opposition de ses compagnons à la mise sur pied de la Force et à la nomination de Sigué à sa tête cache une autre crainte : le PF disposerait désormais non seulement d’une protection « blindée » mais aussi d’une redoutable force de frappe. L’hostilité a remplacé la méfiance autour des deux seuls sujets de discorde : l’élargissement du CNR en un vaste Front dont les 120 membres seraient élus parmi toutes les organisations ; la création de la Fimats. ???????????????????????????????????? THOMAS SANKARA, une histoire qui refuse de s’effacer Le 1er octobre à 2 h 30, les quatre chefs historiques sont réunis à la présidence du Faso. Comme d’habitude, le capitaine Henri Zongo essaie de concilier les positions. En vain. Le lendemain 2 octobre, à Tenkodogo, Thomas Sankara et Blaise Compaoré président la célébration du quatrième anniversaire du « Discours d’orientation politique ». Plusieurs personnes prennent la parole dont un étudiant, Jonas Somé, sympathisant de l’UCB et protégé de Blaise Compaoré. La déclaration préparée par l’étudiant a reçu l’aval du secrétaire général national adjoint des CDR, le lieutenant Hien Kilimité, lui-même membre de l’UCB. Jonas Somé attaque sur le thème de l’unité prônée par Sankara : « L’unité, la tolérance, etc. Avec qui et pourquoi faire ? » Et d’enchaîner : «L’unité dans la révolution démocratique et populaire doit se faire avec les révolutionnaires conséquents et leurs amis pour faire des bonds en avant et non pour reculer » Sankara, furieux de cette résurgence publique de l’ostracisme, prend le dernier la parole et répond à l’étudiant et, à travers lui, à l’UCB et à Compaoré : « L’objectif de la révolution n’est pas de disperser les révolutionnaires. L’objectif de la révolution est de consolider nos rangs. Nous sommes huit millions de Burkinabé, nous devrons avoir huit millions de révolutionnaires. » Et il précise : « Il ne faut pas dire que tel groupe est bon et que tel autre est mauvais. Il nous faut un front large de rassemblement des composantes du peuple. Il faut gagner même les réactionnaires. Il faut aller à eux et les amener à travailler pour la révolution démocratique et populaire. » Le 7 octobre à Ouagadougou, le Conseil des ministres est présidé par Biaise Compaoré. Thomas Sankara finit par arriver et revient sur « l’incident » public de Tenkodogo. Il y a vu une manœuvre de quelques « camarades sectaires ». Le lendemain, 8 octobre, les quatre chefs historiques sont à nouveau en conclave. Ils parlent toujours des deux sujets de discorde : l’élargissement du CNR et la création de la FIMATS. Cette fois, Sankara est seul contre trois. Il quitte la réunion, traitant ses amis de sectaires et d’ambitieux. Le 14 octobre, le Conseil des ministres adopte, en l’absence de BLaise Compaoré parti à Pô au milieu de ses para-commandos, le nouvel organigramme du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Ainsi sera créée la FIMATS. Les deux cents hommes de cette force sont, en vérité, déjà en formation au camp de Loumbila, à la sortie est de Ouagadougou. Il reste à les équiper. Dans la journée de ce même mercredi 14 octobre, du matériel militaire commence à être transféré du camp de la gendarmerie et de celui de Kamboinse vers Loumbila. Quand le soir Blaise Compaoré rentre à Ouagadougou, il a décidé d’agir. Ce sera demain ou jamais. Il a déjà donné ses instructions à ses commandos de Pô. Ce matin du 15 octobre 1987, Thomas Sankara s’est levé tôt comme d’habitude. D’ailleurs, il a peu dormi. Jusqu’à 3 h du matin, il a écrit. A 7 h, il est déjà au téléphone. Séance de gymnastique. Pas de petit déjeuner. Douche. Vers 10 h, le président du Faso appelle un de ses amis étrangers, alors en Afrique centrale. Puis un autre l’appelle d’Europe. Aux deux, il ne parle que d’un seul sujet : « Un article paru dans tel journal publié à Dakar est d’une malveillance évidente. C’est un tissu de mensonges. On m’accuse d’avoir fait exterminer des gens, comme Sékou Touré et même d’avoir exécuté des colonels qui n’ont jamais existé. Ça sent le coup monté. Comment répondre ? » On lui dit de ne pas répondre. Mais il est quand même très énervé, se disant que l’ article en question paraît au pire moment : à Ouagadougou, lui comme ses compagnons d’armes sont depuis plusieurs semaines l’objet de tracts orduriers et l’article lui donne l’impression de vouloir préparer l’opinion publique africaine à il ne sait trop quoi. Pour se relaxer, il va faire « des pompes » sur son balcon. C’est là que le surprend un de ses conseillers qui lui demande s’il cherche à se détendre parce qu’il y a des tensions entre ses camarades et lui. Sankara a alors cette phrase : « Les tragédies des peuples révèlent les grands hommes mais ce sont les médiocres qui provoquent ces tragédies. » Et il se remet à lire le rapport de synthèse qu’on lui a préparé sur le « Code de conduite révolutionnaire» qu’il a l’intention de proposer ce soir, à 20 h, à ses trois compagnons de la direction du Conseil national de la révolution (CNR) : Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukary Lingani et Henri Zongo. Ce Code se base sur l’acceptation, signée le 27 mai 1987 par tous les groupes membres du CNR, de s’auto-dissoudre dans un Front qui remplacerait le CNR. A 12 h, il reçoit Jonas Somé, cet étudiant qui, le 2 octobre dernier à Tenkodogo, lui a porté publiquement la contradiction en se prononçant contre l’élargissement du CNR et pour un nouveau sectarisme. Le PF lui répète ce qu’il avait dit ce jour-là : « Chaque fois que nous nous enfermons dans l’idée que seul un groupe est valable et que tout le reste n’est que lamentation, c’est là que nous nous retrouvons isolés. C’est là que nous compromettons la révolution. » Jonas Somé, protégé de Biaise Compaoré, s’explique jusqu’à 14 h avec le président. Lequel lui dit à la fin de l’entretien : « Je considère que l’incident est clos. Tu peux le dire à Blaise. » Et il rentre chez lui. Mariam Sankara a déjà fini de manger. Le président se met à table et demande à sa femme de lui lire un rapport qu’il n’a pas eu le temps de parcourir jusqu’au bout. Vers 15 h, Mariam étant partie au travail, Sankara fait sa sieste. Peu avant 16 h, Mariam téléphone. On lui dit que le président est réveillé mais qu’il est sous la douche. Elle attend, puis le président, ayant enfilé son survêtement de sport, bavarde quelques minutes au téléphone avec elle. Entre-temps, des commandos venus de Pô ont relevé, comme tous les quinze jours, ceux des leurs qui, depuis le 1er octobre, assuraient la garde du Conseil de l’Entente, siège officiel du CNR et du gouvernement. Ça ressemble à une relève normale. A cette nuance près que les nouveaux arrivants, commandés par le lieutenant Gilbert Guenguéré, adjoint du capitaine Blaise Compaoré en tant que commandant du Centre des para-commandos de Pô, ont cette fois une mission historique : « Neutraliser à tout prix le PF. » Certains d’entre eux avaient osé une question : « Et s’il résiste ? » Réponse : « Anéantissez-le. » Aucun officier ne reconnaît aujourd’hui avoir donné cet ordre. Mais le terme est propre aux commandos. Et Blaise Compaoré lui-même l’employait quand, à propos de l’exécution de putschistes condamnés à mort en juin 1984, il disait : «Ils voulaient nous tuer. Nous les avons anéantis. » Anéantir veut dire abattre, donc tuer. Ces hommes sont des fidèles de Blaise Compaoré jusqu’à la mort. C’est lui qui les a formés. Ils n’ont rien à voir avec Thomas Sankara qui a quitté le commandement du centre de Pô en février 1981. Pour l’heure, ils ont reçu un ordre : anéantir, s’il le faut, Thomas Sankara. Ils ordonnent aux civils qui travaillent au Conseil de l’Entente de quitter les lieux. A la résidence présidentielle, Thomas Sankara reçoit un autre appel téléphonique : on l’attend pour la réunion qu’il avait convoquée à 16 h au Conseil de Entente. Ses conseillers sont déjà sur place : Paulin Bamouni, Patrice Zagré, Frédéric Tiemdé, Harouna Traoré. Le PF confirme à celui qui le rappelle ainsi à ordre : « J’arrive tout de suite. » Quelqu’un — la même personne, selon certains témoignages — prévient alors Biaise Compaoré par téléphone : « Le PF quitte la résidence. Il arrive au Conseil. » II est 16 h 10. Blaise — qui n’est pas au lit contrairement à ce qu’il dira — quitte son domicile, se rend lui-même le volant de sa Peugeot 504, traverse en trombe les « Champs-Elysées » (le boulevard de la Révolution), Passe devant l’ambassade de France et Disparaît. Trois minutes après, il fait le Chemin inverse, cette fois encadré par des Commandos armés jusqu’aux dents et se dirige à toute vitesse vers l’aéroport de Ouagadougou. Ses hommes l’attendent dans une villa de la SOCOGIB (une société immobilière), face au salon d’honneur présidentiel de l’aérogare. Il s’y embusque, talkie-walkie dans une main, Kalachnikov dans l’autre. Sur la piste de l’aéroport, un avion attend, prêt à décoller au cas où il en aurait besoin. Au même moment, le président Thomas Sankara, ayant quitté sa résidence et après avoir contourné par l’arrière le Palais d’Etat (la présidence du Faso), arrive au Conseil de l’Entente. Il est assis à droite du chauffeur dans sa Peugeot 205 noire dans laquelle ont également prix place deux de ses gardes du corps. Dans une Renault 5 — noire également — trois autres gardes (plus-le chauffeur) ont suivi. Les deux voitures se garent, à 16 h 15, devant le pavillon « Haute-Volta » du Conseil de l’Entente. Thomas Sankara met pied à terre, s’engouffre, accueilli par ses conseillers et suivi de ses gardes dans le pavillon. Certains de ses compagnons terminent de fumer une cigarette devant l’entrée quand Sankara leur dit de l’intérieur : « Dépêchez-vous ! Il faut commencer. » II est 16 h 20 quand des coups de feu éclatent à l’extérieur. « Qu’est-ce que c’est ? » interroge le président qui se lève et entend une voix lui ordonner : « Sortez de là ! Sortez les mains en l’air. » Sankara laisse échapper un soupir, dit à ses compagnons : « Restez, restez ! C’est moi qu’ils veulent. » Et il sort les mains en l’air, pour voir de face les assaillants. Son chauffeur et un de ses gardes restés à l’extérieur ont déjà été tués par les premières rafales. A peine est-il sur le perron du pavillon qu’il est abattu de deux balles dans la tête et de dix autres dans le buste. Ses compagnons sont également abattus. Mais contrairement à ce que nous avions cru comprendre, aucune grenade n’a été utilisée. Treize cadavres gisent sur la maigre pelouse du Conseil de l’Entente. Des compagnons du PF, il reste deux survivants, deux de ses gardes qui ne l’avaient pas suivi dans le pavillon : Bossobe Traoré, blessé, et Zourma Ouedraogo dit Otis, indemne. Un troisième a fait le mort : Harouna Traoré. En entendant le bruit des tirs, depuis le siège du Conseil burkinabé des chargeurs où elle travaille, Mariam téléphone au Conseil de l’Entente pour demander ce qu’il se passe. Le standardiste lui répond : « Je ne sais pas du tout. Je suis à l’intérieur et je ne vois rien de ce qui se passe à l’extérieur. » Par le téléphone, Mariam entend encore mieux les rafales. Elle ne sait pas encore qu’elle est veuve. Elle dément aujourd’hui avoir jamais téléphoné à Blaise à ce moment-là : « Je voulais parler à mon mari, avoir de ses nouvelles ! Pourquoi aurais-je téléphoné à Blaise et non à mon mari ? » Blaise Compaoré, lui, toujours en alerte près de l’aéroport, sait déjà. Par talkie-walkie, le lieutenant Guenguere lui a annoncé : « Opération terminée. » Blaise insiste pour avoir des détails et s’entend confirmer : « Le PF est mort. Tous ses compagnons aussi. » II est 16 h 30. Blaise Compaoré s’effondre et s’isole dans une pièce de la villa. Comme quelqu’un qui, ayant assassiné un être cher, refuse a posteriori d’admettre son acte. 17 h. Mariam Sankara sort de son bureau et bavarde dans la rue avec une amie. Elles sont en train de plaisanter quand une voiture banalisée de la gendarmerie freine devant elle. Le chauffeur lui dit d’embarquer tout de suite, sans pouvoir lui expliquer pourquoi. Voyant que ses deux enfants — Philippe et Auguste — sont déjà dans la voiture, ne cherchant plus à comprendre, elle embarque. Elle passera sa première nuit de veuve chez son frère. 18 h. Ayant quelque peu récupéré, le capitaine Blaise Compaoré arrive enfin au Conseil de l’Entente. Depuis une heure et demie, les corps de Thomas Sankara et de ses douze compagnons sont à terre. Personne n’a voulu, ou osé, y toucher. Compaoré ordonne de les enlever et de les enterrer. 18 h 30. Radio Ouagadougou annonce le renversement de Thomas Sankara, la dissolution du CNR et la création du Front populaire. Président : le capitaine Blaise Compaoré. >>
Décembre 1987 par Sennen Andriamirado envoyé spécial publié dans N°43 de Jeune Afrique Magazine