Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion ivoirienne et ex-président de l’Assemblée nationale.
Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion ivoirienne, ex-président de l’Assemblée nationale passé dans l’opposition, a annoncé sa candidature pour l’élection présidentielle prévue en 2020. Il peut d’ores et déjà compter sur de nombreux soutiens et sur son mouvement Générations et peuples solidaires (GPS). Guillaume Soro répond aux questions de Christophe Boisbouvier (RFI) et Marc Pereleman (France 24).
Marc Perelman : On va aller directement à une question que tout le monde se pose : est-ce que vous allez bien être candidat à la présidentielle de Côte d’Ivoire l’an prochain ?
Guillaume Soro : Alors, je vais vous faire une précision. Il y a longtemps, j’ai beaucoup réfléchi à cette question qui m’a mainte fois été posée. C’est décidé : je suis candidat.
M. P. : Ferme et définitif.
G. S. : Je suis candidat pour 2020.
Christophe Boisbouvier : Alors cette annonce en fait, vous l’avez faite déjà il y a quelques jours. C’était en Espagne devant vos partisans, vos compatriotes ivoiriens d’Espagne. Et c’est dans ce même pays il y a quelques jours aussi que vous dites avoir été victime d’une mystérieuse tentative d’arrestation dans un grand hôtel de Barcelone. Vous avez laissé entendre que derrière tout cela, il y avait le pouvoir ivoirien. Celui-ci dément catégoriquement. Est-ce que vous ne jouez pas un peu au martyr ?
G. S. : Ai-je besoin de jouer au martyr ? L’hôtel dans lequel j’ai logé existe. Il s’appelle « El Palace » de Barcelone. Les faits que j’ai évoqués d’ailleurs, le communiqué du gouvernement, ne démentent pas la survenance des faits, simplement essaient de se dédouaner. J’ai décidé pour la clarté des choses de laisser la justice espagnole, qui est insoupçonnée, faire son travail.
C. B. : Mais qui est derrière ?
G. S. : Justement, la justice espagnole le dira.
C. B. : Parce qu’on ne comprend pas tout. La police est intervenue au milieu de la nuit…
G. S. : À quatre heures du matin, entre trois heures et quatre heures du matin.
C. B. : Soi-disant pour vous arrêter. Et finalement, elle vous a laissé tranquille…
G. S. : Donc, je dis une fois de plus, l’hôtel où je résidais, où les faits se sont déroulés, existe. Le directeur de l’hôtel m’a adressé donc des excuses. La justice espagnole est saisie. Laissons la justice faire son travail. Je ne veux pas anticiper sur ce que dira la justice. Mais voyez-vous, quand on a été à des responsabilités comme je les ai assumées dans mon pays, on ne prend pas de risque avec ce genre de choses.
M. P. : Le président Alassane Ouattara a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’empêcherait personne d’être candidat. Mais est-ce que vous ne craignez pas, à votre retour, sans doute prochain en Côte d’Ivoire, d’être inquiété par la justice et de ne pas pouvoir vous présenter à cette élection ?
G. S. : Je ne vois pas absolument pas de raison pour que la justice m’empêche donc d’être candidat. Je vous ai dit, pour moi, c’est décidé. Et le reste maintenant, en harmonie avec l’ensemble des Ivoiriens, que cette déclaration soit solennelle et officielle en terre de Côte d’Ivoire parce que, pour moi, pour être président de la République d’un pays, c’est la rencontre entre un peuple et un homme.
M. P. : Vous rentrez quand ?
G. S. : Je serai déjà en Côte d’Ivoire la semaine prochaine.
C. B. : Au Burkina Faso, au procès du putsch manqué se septembre 2015, c’est notamment sur la base d’écoutes téléphoniques que Djibrill Bassolé, votre ami Bassolé, vient d’être condamné. Et comme beaucoup ont reconnu aussi votre voix dans ces écoutes téléphoniques, est-ce que vous ne craigniez pas d’être poursuivi de votre côté, qui sait, par la justice ivoirienne ?
G. S. : Par la justice burkinabè ou la justice ivoirienne ?
C. B. : Ivoirienne…
G. S. : À quel motif ?
C. B. : Alors burkinabè ?
G. S. : Par la justice burkinabè. Pour vous rafraîchir la mémoire, sachez qu’en 2016, j’ai été l’objet d’un mandat d’arrêt international qui a été abandonné et que d’ailleurs Interpol avait totalement discrédité. Donc, je ne vois plus de raison d’être inquiété par quelque justice que ce soit.
C. B. : Vous avez un passé sulfureux, sans remonter jusqu’au coup de force de septembre 2002 et en plus de cette affaire des écoutes, on pense évidemment à l’assassinat de votre ancien frère d’armes, Ibrahim Coulibaly, dit « IB », tué en avril 2011 par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (RCI) d’Alassane Ouattara. À l’époque, vous étiez le Premier ministre et le ministre de la Défense d’Alassane Ouattara. On pense à cette découverte d’une cache d’armes chez votre directeur du protocole à Bouaké, c’était en pleine mutinerie en mai 2017. Est-ce que vous n’allez pas traîner ces deux affaires comme des boulets à votre pied ?
G. S. : D’abord, en ce qui concerne la mort de monsieur Ibrahim Coulibaly..
C. B. : IB…
G. S. : Dit « IB ». Je n’étais pas en Côte d’Ivoire.
C. B. : Mais vous étiez Premier ministre.
G. S. : Oui. J’étais Premier ministre. Vous pouvez quand même concéder que je n’avais pas de pistolet sur moi.
C. B. : Non, mais vous auriez pu être le commanditaire ?
G. S. : Ah. Vous m’accusez.
C. B. : Non, je mets au conditionnel…
G. S. : Donc, si c’est au conditionnel, permettez-moi de dire la vérité sur les faits et l’exactitude matérielle des faits. Je n’étais pas en Côte d’Ivoire quand IB a été tué. On est d’accord ? Donc, je ne pouvais pas avoir tenu le pistolet. Pour le reste, la justice de Côte d’Ivoire a du travail à faire. Donc, la vérité est dans la main de la justice.
C. B. : Et pour la mutinerie, et la découverte de cette cache d’armes chez votre directeur de protocole, Souleymane Kamarate ?
G. S. : Là aussi, mon directeur de protocole a été en prison. Il a été par la suite libéré. Donc, je ne vois pas en quoi cela me concernerait.
M. P. : Donc, vous êtes blanchi pour vous ?
G. S. : Celui chez qui on a trouvé les armes est allé en prison. Il a recouvré la liberté. Pourquoi monsieur Christophe voudrait que je sois incriminé ?
M. P. : Vous êtes désormais candidat. Vous lancez donc ce nouveau mouvement, Générations et peuples solidaires (GPS). Mais aux dernières élections locales, vos partisans ont été battus. On sait qu’il y a une sorte d’hégémonie des trois principaux partis en Côte d’Ivoire ces dernières décennies. Est-ce que ce n’est pas une candidature presque suicidaire, parce que ça paraît presque impossible ?
G. S. : (rires) Moi, d’abord une élection locale, ce n’est pas la présidentielle. Mettons-nous d’accord. Je voulais faire cette précision. Donc, la présidentielle, j’irai comme je vous l’ai dit avec le soutien du peuple de Côte d’Ivoire. Et je réaffirme ici que c’est au peuple, et au seul peuple, de Côte d’Ivoire de décider qui il désignera, il élira pour présider aux destinées de la Côte d’Ivoire. Nous venons de lancer notre mouvement. Déjà, pour les premiers jours du lancement de ce mouvement que j’ai fait à Valence, nous sommes à plus de 7 000 adhérents déjà en ligne. Je n’ai pas encore dit sur le terrain. Mais nous pensons que c’est un mouvement qui va marcher. Et je veux vous préciser, à vous monsieur Christophe, que quand monsieur Macron, ici en France, lançait En Marche, toute la classe politique était unanime qu’il ne serait jamais président élu.
M. P. : Donc vous espérez être le Macron ivoirien…
G. S. : Non, je n’espère rien du tout. J’espère être le Guillaume Soro de Côte d’Ivoire élu président en 2020.
M. P. : Pour cela, il faut que les élections soient libres et transparentes. Pensez-vous qu’elles le seront ?
G. S. : Malheureusement, j’ai le sentiment que les premiers pas, parce que vous savez qu’une élection présidentielle, c’est tout un processus. La semaine dernière, avec la mise en place de la Commission électorale indépendante [CEI], j’ai des craintes. J’ai des craintes pour la stabilité de la Côte d’Ivoire, pour la paix en Côte d’Ivoire. Permettez-moi de paraphraser. J’ai envie de paraphraser le président Chirac, paix a son âme. Tout le monde sait que cette Commission électorale indépendante est stipendiée, est aux ordres. Tout le monde sait que cette Commission électorale indépendante va brûler la Côte d’Ivoire. Et tous, vous faites semblant de ne pas voir. Vous regardez ailleurs.
M. P. : Brûler, c’est quoi ? C’est la guerre civile ?
G. S. : Non. C’est l’instabilité. Vous savez qu’en Afrique, généralement les guerres, l’instabilité partent des processus électoraux mal maîtrisés ou organisés. Ce serait dommage que je ne tire pas la sonnette d’alarme. Et celui qui vous parle… ce sont les propos, les paroles de quelqu’un qui a organisé une élection en Côte d’Ivoire.
C. B. : Vous avez été longtemps le plus proche allié d’Alassane Ouattara. Et il y a encore neuf mois, vous l’avez entendu. Le président de la Côte d’Ivoire a dit : « Guillaume Soro, pour moi, c’est toujours un de mes fils et je n’exclus pas son retour à la maison ». Est-ce que la rupture est vraiment consommée ?
G. S. : Au plan politique, je pense que la rupture est consommée puisque j’ai lancé mon mouvement. Ce mouvement va à la conquête du pouvoir d’État. Mais je dois vous dire qu’au plan personnel et humain, je continue à garder beaucoup de respect pour le président Ouattara.
C. B. : Vous vous parlez toujours ?
G. S. : Je dois avouer pour être honnête avec vous qu’il y a bien un moment que nous ne nous sommes pas parlé directement, mais il existe des passerelles.
M. F. : Est-ce que la vraie raison de cette rupture politique, non pas affective…
G. S. : Oui, politique.
M. F. : Est-ce que la vraie raison n’est pas qu’il vous aurait promis de lui succéder, et qu’il n’a pas tenu promesse ?
G. S. : En politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
M. F. : Donc, il vous l’avait faite ?
G. S. : Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Moi, j’ai décidé de prendre mon destin en main. J’ai décidé de m’assumer. J’ai 47 ans et je pense que, désormais, je ferai cavalier.
M. F. : Seul…
G. S. : Seul.
C. B. : Vous savez ce que disent les mauvaises langues, c’est que…
G. S. : Il y en a beaucoup des mauvaises langues.
C. B. : oui. Tout le monde ne vous aime pas.
G. S. : (rires)
C. B. : Certains disent que votre perte d’influence est liée à celle des chefs militaires « Com’zones ». Vous connaissez cette phrase que Laurent Gbagbo a écrite sur vous dans son dernier livre : « C’est aux armes que Guillaume Soro doit sa place. Le jour où il n’aura plus ses armes, il devra s’inquiéter ».
G. S. : Dites-lui que moi je suis très heureux de ne pas avoir d’armes. Je suis très heureux, et d’être dans l’arène politique, et de me battre en tant qu’homme politique pour arriver à mes fins. Je suis très content de ne pas avoir d’armes.
M. F. : Souvent, vous avez dit qu’Alassane Ouattara vous aurait promis qu’il ne ferait pas de troisième mandat en 2020. Est-ce qu’il va tenir parole ?
G. S. : Encore, j’ai envie de vous dire qu’en politique, rien n’est définitif. Tout est volatil.
M. F. : Votre sentiment. Il va y aller ?
G. S. : Je n’en sais rien. Je pense que, quand on a des ouailles autour de soi comme ce fut le cas de Bouteflika en Algérie, qui tous les jours vous disent : « Président, si tu n’y vas pas, le système va s’écrouler, on va tous tomber ». Je pense que monsieur Ouattara peut être pris dans l’hésitation.
C. B. : Depuis la rupture entre Alassane Ouattara et l’ancien président Henri Konan Bédié [de 1993 à 1999], vous avez vu ce dernier, le président Bédié à plusieurs reprises, il y a encore un mois. Y a-t-il un accord de désistement entre vous deux pour le deuxième tour de 2020 ?
G. S. : Avec le président Bédié, nous avons échangé, et longuement parlé d’ailleurs, et je dois m’en réjouir, m’en féliciter du soutien qu’il m’a apporté. Le principe est très net et je pense qu’il est démocratique. Tous ceux en Côte d’Ivoire qui veulent aller à l’élection présidentielle, qu’ils aillent. Qu’ils soient tous candidats. Et au second tour, nous qui sommes dans l’opposition, nous nous mettrons d’accord pour soutenir celui qui sera le mieux placé d’entre nous.
M. F. : Après son acquittement en première instance à la Cour pénale internationale, Laurent Gbagbo a rencontré Henri Konan Bédié, mais il ne vous a pas reçu. Pourquoi est-ce qu’il ne vous reçoit pas ? Il ne veut pas vous recevoir ?
G. S. : Cela, je n’en sais rien. Ce que je peux vous révéler par contre, c’est que vous avons des contacts par personnes interposées. Voilà.
M. F. : Et vous allez le voir bientôt ?
G. S. : J’ai toujours dit que si le président Laurent Gbagbo était disposé à me rencontrer, je ne verrais aucun inconvénient.
Source: rfi