Les deux mains solidement agrippées au volant, elle a la conduite confiante des femmes déterminées et son large sourire traduit son amour de la route. Conductrice de poids lourd depuis plus de 30 ans, Massata Cisse, alias « Maman Africa », est indéniablement une femme exceptionnelle. « Il y a un peu plus de trente ans, j’étais la seule femme dans la sous-région à faire ce travail, je pense que je suis toujours la seule aujourd’hui, du moins dans mon pays. Mon parcours a été difficile, mais c’est un travail intéressant et j’en suis fière. »
Plus d’une semaine pour faire 900 kilomètres
Originaire du Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, Maman Africa a travaillé pour plusieurs compagnies de la sous-région, transportant des tonnes de marchandises au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire, notamment. Inconditionnelle des grands corridors routiers qui lui permettent de gagner beaucoup de temps sur ses trajets, elle se rappelle des difficultés du début de sa carrière : « Les routes étaient très mauvaises avec des conditions très difficiles. Il y avait des tracasseries administratives de toutes sortes—douanes, police, gendarmerie—qui m’obligeaient à m’arrêter plusieurs fois. Cela pouvait me prendre plus d’une semaine pour me rendre de Lomé à Ouagadougou, un parcours d’environ 950 km que je fais en moins de deux jours aujourd’hui. »
Depuis plus de 30 ans, Maman Africa sillonne les routes de l’Afrique de l’Ouest. En arrêt pour un contrôle des papiers. Photo : Erick Kaglan
La ponctualité, c’est son point d’honneur. Maman Africa n’est jamais en retard sur la livraison des conteneurs du port de Lomé, au Togo à son employeur, une cimenterie basée à Ouagadougou, au Burkina Faso. « Nos pays ont fait beaucoup d’effort ces dernières années pour améliorer les routes et réduire les formalités administratives. »
Pour Maman Africa, l’intégration régionale rime avant tout avec de meilleures routes, moins de formalités pour se rendre d’un pays à un autre et une meilleure sécurité routière, notamment pour faciliter la libre circulation des personnes et des biens : « nos conditions de travail ont beaucoup évolué, mais il reste du progrès à faire. Par exemple, il faudrait entièrement transformer les grands corridors routiers en autoroutes ; créer des contournements pour que les camions ne traversent pas les villes, éviter des accidents et alléger davantage les formalités au niveau des frontières terrestres. »
Certes, des efforts importants ont été déployés ces dernières années pour faciliter le transport à travers les corridors ouest-africains, mais la mise en place des infrastructures de transports reste encore un gros défi à relever. « En tant que femme, ce n’est pas toujours facile de passer de longues heures sur la route. Nos corridors ne disposent pas d’assez de points d’arrêts équipés de toilettes et installations décentes et je suis souvent obligée de me laver derrière mon camion », confie-t-elle.
L’insécurité s’ajoute à ces défis logistiques. Ces dernières années, la violence s’est intensifiée à proximité directe des corridors. Entre 2019 et 2021, plus d’un tiers des attaques enregistrées dans la sous-région ont eu lieu près des corridors : « Tout le monde est conscient de l’insécurité sur le corridor et les transporteurs sont préoccupés, à juste titre. Il faut un plan sécuritaire clair parce qu’il y a souvent un amalgame entre le contrôle sécuritaire et documentaire », insiste Ibrahim Abdou, directeur exécutif de l’Union nationale des transporteurs routiers du Togo. « Nous voulons un corridor sécurisé où il y a moins de tracasseries, et plus de fluidité pour améliorer la compétitivité de nos ports et de nos entreprises ».
L’intégration régionale, une condition sine qua non pour les pays enclavés
32 % des pays africains sont enclavés et dépendent des pays côtiers pour accéder aux marchés régionaux et internationaux. Le développement des infrastructures—que ce soit en matière de transport et de développement des corridors économiques ou en matière d’énergie ou du numérique—est donc capital non seulement pour la circulation des biens et des personnes, mais aussi pour faciliter le commerce intrarégional, développer les chaînes de valeurs et offrir plus d’opportunités aux entrepreneurs.
Pour apporter des réponses à long terme, le Burkina Faso, le Niger et le Togo, avec l’appui de la Banque mondiale, préparent un projet régional sur le corridor économique Lomé-Ouagadougou-Niamey dont l’objectif est d’améliorer la connectivité régionale et de développer des infrastructures socio-économiques pour les communautés fragiles vivant le long de cet axe où se concentrent plus de 28 % du PIB du Niger et 7 % de sa population, plus de 40 % du PIB du Burkina Faso et 21 % de sa population et 72 % du PIB du Togo et 65 % de sa population.
« Ces corridors constituent le centre névralgique des activités économiques des trois pays », souligne Deborah Wetzel, directrice de la Banque mondiale pour l’intégration régionale en Afrique. « Leur développement va générer une croissance forte et inclusive et aura des effets positifs sur des millions de personnes ».
Le projet s’attaquera aussi aux inégalités hommes-femmes. En plus des infrastructures communautaires qui bénéficieront aux femmes, il prévoit d’accroître la participation des femmes dans l’industrie du camionnage, en les formant aux métiers du secteur. Maman Africa ne sera plus une exception sur le corridor.
Un partenariat régional, la clé du succès de l’intégration régionale en Afrique
Depuis plus de trente ans, la Banque mondiale collabore étroitement avec les pays africains, les institutions régionales et continentales pour soutenir des initiatives en faveur de l’intégration du continent. Alors que dans les années 1980, elle finançait 10 projets régionaux pour un montant total de 315 millions de dollars, son portefeuille s’élève aujourd’hui à plus de 14 milliards de dollars avec plus de 70 projets, soit environ 13 % de l’ensemble du portefeuille de la Banque mondiale pour l’Afrique.
Afin d’améliorer son soutien à l’intégration régionale et de prendre en compte de nouvelles priorités, en particulier dans les régions fragiles du Sahel, du Lac Tchad, des Grands Lacs et de la Corne de l’Afrique, la Banque mondiale vient de mettre à jour son approche pour aider à renforcer l’intégration régionale en Afrique et prévoit d’investir plus de huit milliards de dollars supplémentaires au cours des trois prochaines années (2021 à 2023) pour aider le continent à se relever des effets de la pandémie de COVID-19.
« La crise provoquée par la pandémie a révélé l’importance d’avoir une bonne intégration régionale pour maintenir les flux commerciaux, et bien plus encore », poursuit Deborah Wetzel. « Nous allons accroître nos financements non seulement pour poursuivre le développement des infrastructures et des échanges commerciaux mais aussi pour renforcer la résilience et le capital humain. »
Une bonne nouvelle pour Maman Africa qui compte bien voir les choses changer avant de prendre une retraite bien méritée et de remplacer son camion par une voiture plus discrète pour se promener le long du corridor Lomé-Ouagadougou-Niamey.
Banque Mondiale