Le Directeur de la promotion des produits communautaires, de la promotion humaine et du développement durable au ministère de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur, par ailleurs, Secrétaire permanent du Comité national Cilss en Côte d’Ivoire, apporte sa recette à certaines questions cruciales en Côte d’Ivoire et dans la sous-région ouest-africaine.
Pouvez-vous présenter le Cilss dont vous êtes le Secrétaire permanent en Côte d’Ivoire ?
Le Comité permanent inter-Etat de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Cilss) est une organisation technique de la sous-région ouest-africaine et sahélienne. Il a été créé le 12 septembre 1973. Son siège est à Ouagadougou, au Burkina Faso. Il regroupe 13 Etats membres dont 8 Etats côtiers (la Côte d’Ivoire, le Bénin, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et le Togo), 4 Etats enclavées (le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad), et un Etat insulaire qui est le Cabo Verde. Mais en juillet 2020, le Cilss a enregistré l’adhésion de la Centrafrique et du Soudan qui viennent ainsi compléter la liste à 15 Etats membres. La Côte d’Ivoire y a adhéré en 2012.
Quels sont les organes qui le composent ?
Le Cilss est composé de trois grands organes : le Secrétariat exécutif qui est basé à Ouagadougou au Burkina Faso, où est également installé le siège, le Centre général AGRHYMET, installé à Niamey, au Niger, qui s’occupe des questions de météorologie, de changements climatiques, de formation continue et professionnelle, et l’Institution du Sahel qui est installé à Bamako et qui fait typiquement de la recherche en termes de population, de développement et de dividende démographique. Mais au-delà, sur le plan politique et technique, le Cilss est gouverné par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement qui est l’instance suprême de décisions. A ce jour, elle est présidée par le Président tchadien, Idriss Itno Deby. Le mandat du Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement est de 2 ans renouvelable une fois. Il y a également le Conseil des ministres qui statue sur le règlement des questions techniques et politiques, et aussi le Comité des experts qui est le comité de programmation et du suivi. Ceux-ci statuent sur les questions techniques, font des rapports au Conseil des ministres qui, à son tour, l’adresse à la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement.
Quels sont les rapports entre le Cilss, la Cedeao et l’Uemoa ?
La Cedeao et l’Uemoa sont les deux partenaires privilégiés du Cilss en Afrique de l’Ouest. Et à ce jour, ces deux institutions ont pris le Cilss comme leur bras technique dans la mise en œuvre et la formulation de leurs projets. C’est le Cilss qui implémente sur le terrain tout ce que fait la Cedeao.
Quels sont les domaines d’intervention du Cilss ?
Ils sont multiples. Je peux citer, entre autres, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la gestion des ressources naturelles (plans d’eau, des ressources foncières, la faune) et le changement climatique. Il y a aussi le domaine de la population, du genre et du développement, l’accès des produits agricoles et agro-alimentaires aux marchés, la maîtrise de l’eau et le management.
De par sa dénomination, on pourrait penser que le Cilss est consacré aux pays sahéliens. Et pourtant, on y retrouve des pays côtiers tels que la Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qui explique cela ?
La raison est simple : les pays côtiers et la Côte d’Ivoire en particulier ne sont pas à l’abri du dérèglement climatique dans le monde entier. Et nous constatons l’avancée, presqu’irrésistible, du désert vers les pays côtiers. D’ailleurs, depuis quelques années, la sécheresse frappe de plein fouet le nord de la Côte d’Ivoire. Les sols qui étaient fertiles dans cette zone, sont désormais dégradés. Pour que la Côte d’Ivoire puisse remédier à ce problème, il était important qu’elle adhère au Cilss. Cela lui permet d’avoir des moyens de lutte contre ces différents phénomènes.
Quelle est exactement la mission du Cilss au sein des pays ?
De façon générale, en tant qu’une structure régionale, le Cilss travaille à la formulation, à l’analyse, à la coordination et à l’harmonisation des stratégies politiques dans les domaines sécuritaire et alimentaire
Comment le Cilss finance-t-il ses activités ?
Il y a plusieurs sources de financements. Notamment, les cotisations des Etats membres. Il y aussi l’appui des bailleurs de fonds en matière technique et financier pour implémenter les projets. Mais le Cilss produit également des ressources propres grâce à des formations continues, des formations professionnelles qu’il initie. A cela s’ajoutent les dons.
Les Etats membres sont-ils à jour de leurs cotisations ?
Ces dernières années, les Etats dans l’ensemble ont fait des efforts dans le paiement de leur contribution annuelle. La Côte d’Ivoire, particulièrement, est à jour de ses cotisations. Pour l’année 2020, elle a déjà honoré ses engagements vis-à-vis du Cilss.
Quelle a été la contribution du Cilss en termes de lutte contre la désertification en Côte d’Ivoire ?
Le Cilss a appuyé la Côte d’Ivoire dans plusieurs domaines tels que la lutte contre la désertification. Il a fait bénéficier la Côte d’Ivoire de la mise en œuvre du programme de gestion durable des terres et d’adaptation aux changements climatiques, au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Il a fait installer des systèmes d’énergies solaires, d’irrigation goutte-à-goutte au profit des populations. Il a contribué à la mise en œuvre du projet de suivi de l’environnement pour un développement durable en Afrique. Ce projet a permis à la Côte d’Ivoire de bénéficier d’équipements de pointe capables de donner l’état de l’environnement, de la forêt, des plans d’eau à partir d’un bureau à Abidjan. Cela, grâce à des matériels de dernières générations qui ont été remis au ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Le Programme national d’investissement agricole (Pnia) a été également formulé grâce à l’appui du Cilss.
Quelles sont les zones d’intervention du Cilss en Côte d’Ivoire ?
C’est vrai que lorsqu’on parle du Cilss, on voit la zone sèche de la Côte d’Ivoire, mais il intervient sur toute l’étendue du territoire. Il a conduit par exemple une activité en Côte d’Ivoire dénommée « Analyse des communes rurales », qui consiste à faire des analyses pour avoir le niveau des indicateurs sur la vulnérabilité des populations. Et cette activité se fait dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire.
Qui est habilité à soumettre des projets au Cilss pour financement ?
Tous les services de l’Etat. Mais comme on ne veut pas aller dans tous les sens, alors dans chaque Etat membre, il a été mis en place des comités nationaux du Cilss qui recensent les besoins de chaque Etat et les transmettent, lors des instances, pour analyse.
Y a-t-il des menaces sur la Côte d’Ivoire ?
La première menace est d’ordre sécuritaire. Elle concerne toute la sous-région et est relative aux djihadistes. Ce qui fait que l’action des techniciens sur le terrain est risquée. Sur le plan technique, la Côte d’Ivoire doit mener des actions d’envergure pour lutter contre la sécheresse et la déforestation, ainsi que du changement climatique. Car aujourd’hui, avec le dérèglement de la saison des pluies, la production agricole diminue dans plusieurs zones. Les périodes de semaille n’étant pas maîtrisées par les populations rurales, il faut apporter l’information sur les prévisions climatiques aux cultivateurs. Cela leur permettra d’actualiser leur calendrier cultural.
La sécurité alimentaire est-elle garantie en Côte d’Ivoire ?
La situation au niveau de la sécurité alimentaire est critique dans la zone sahélienne. Là-bas, des millions de personnes sont en insécurité alimentaire. Mais en Côte d’Ivoire, à ce jour, la population n’a rien à craindre sur ce point. Toutefois, dans les zones Nord et Nord-Est, les populations sont vulnérables, à cause du changement climatique qui impacte fortement la production agricole. Cela expose les populations de ces deux zones estimées à environ 500 000 personnes, à l’insécurité alimentaire.
Et, à propos du changement climatique et de la désertification ?
Sur ces points, il faut sonner l’alerte parce qu’il y a des problèmes. Et ces problèmes sont dus aux pratiques humaines. Notamment, les feux de brousse et l’abattage des arbres. La Côte d’Ivoire est passée de plus de 10 000 000 d’hectares de forêt dans les années 1960, à 3 millions d’hectares à ce jour. Il y a urgence. Il faut mettre l’accent sur cette question pour ne pas qu’on soit étonné de ce qui pourrait arriver dans quelques années.
Qu’en est-il des énergies renouvelables ?
Des actions sont menées à ce niveau afin de pouvoir basculer des énergies faucilles vers les énergies renouvelables. Il existe d’ailleurs un ministère dédié aux énergies renouvelables qui travaille en collaboration avec le Cilss.
La maîtrise de l’eau…
La question de la maîtrise de l’eau est à l’ordre du jour dans plusieurs programmes agricoles, et de préservation des sols et de l’environnement. Dans plusieurs projets agricoles dans le nord du pays, beaucoup de retenues d’eau ont été créées. Cependant, il y a beaucoup à faire et nous devons continuer car le pan de la question de la maîtrise de l’eau qu’il faut voir, est le côté hydrologique. Il faut que notre pays appuie le service en charge de l’hydrologie nationale en termes d’équipements.
Que risque la Côte d’Ivoire si toutes ces mesures ne sont pas respectées ?
Ce sera la catastrophe car nous risquons la famine due à la baisse de la production agricole. Il faut rappeler que dans les années 70-80 la famine a frappé les pays du Sahel. Nous devons travailler pour que toutes ces mesures soient respectées, non seulement en Côte d’Ivoire, mais aussi dans la sous-région. Et le Cilss travaille pour que nous n’arrivions pas à la famine. Nous invitons les Etats membres à s’impliquer dans le fonctionnement du Cilss pour que le travail ne soit pas abandonné aux seuls bailleurs de fonds. Il faut d’autres investissements, en plus des cotisations mensuelles, de la part des Etats.
Casimir