Politique

palais de justice d’Abidjan : Le juge Bini condamne l’accusé de la sœur de Ouattara, pour complicité de faux mais « libère » ses complices

Après plus de deux années passées à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) Sangaré Lanciné est désormais situé sur son sort. Le tribunal correction a condamné Sangaré Lanciné, le mardi 18 février 2020, à la lourde peine de 10 ans de prison fermes.

En ‘‘cerise sur le gâteau’’, une amende de 306 426 000 francs CFA d’amende, 100 000 000 de francs CFA à payer à la plaignante, dame Rokeyatou Ouattara, la confiscation de ses véhicules (qui ne sont déjà plus en sa possession), de son passeport… Un verdict qui, au regard du déroulé de la procédure et même du procès expéditif qui a eu lieu, est surprenant.

Le fait est que lors des trois audiences qui ont eu lieu les 4, 11 et 18 février, auxquels le Pachyderme a assisté, l’accusation a peiné à prouver les faits mis à la charge de M. Sangaré Lanciné. A savoir « faux et usages de faux, de complicité, d’abus de biens sociaux et de blanchiment de capitaux ».

Rokeyatou Ouattara aux abonnés absents.
Comme il a été de coutume lors de l’instruction de l’affaire qui a duré plus de deux ans, la plaignante, dame Rokeyatou Ouattara, sœur cadette du président de la République, n’a pas daigné se présenter aux audiences. Lors de l’audience du 11 février, le juge, ayant constaté son absence a demandé au procureur si toutes les diligences avaient été faites pour avoir son témoignage, en personne devant la cour, elle et son fils Amara Touré. Réponse affirmative du procureur.

Mais son avocat brandira aussitôt un document d’arrêt maladie, pour justifier son absence. Quid de son fils ? Mystère. Les échanges de ce jour ont été axés sur les auditions du clerc et du notaire de Mme Rokeyatou, M. Fofana qui a rédigé les actes portants modification des statuts de Rama Transit. A la barre, le clerc Bamba Abdoulaye a dit s’être rendu au domicile de Rokeyatou en compagnie de Sangaré Lanciné pour la signature des actes ; mais une fois sur place les documents ont été remis à M. Sangaré pour les faire signées, vu que leur hôte recevait du monde chez elle.

condamné Sangaré Lanciné
A la barre, le notaire Me Fofana a pour sa part reconnu que c’était bel et bien la signature de Rokeyatou Ouattara sur les documents qui ont été ramenés. Il s’agit notamment des statuts modifiés et du PV de modification. Il a ensuite été acculé par le procureur sur la procédure d’établissement des actes qui n’aurait pas été respecté, notamment en ce qui concerne le montant du capital.

Mais à aucun moment, il n’a mis en cause M. Sangaré Lanciné. L’avocat de dame Rokeya. Fait notable, Me Samassi, l’avocat de Rokeyatou Ouattara a demandé des dommages et intérêts de 1 milliard 500 millions, avant de demander au juge de désigner un expert-comptable pour évaluer le préjudice subi par sa cliente. Sur la base de quoi a-t-il donc réclamé ce montant ? Bref !

Un verdict qui fait tousser
Le juge Bini Kouakou Manzan a malgré tout décidé de vider le délibéré de l’affaire le 18 février dernier. Sur le fait de « Faux et usage de faux », épine dorsale de l’accusation, Sangaré Lanciné est jugé non coupable. Joie de de ses amis et proches dans la salle… mais de courte durée. Puisque le Bini Kouakou Manzan le condamnera quand même pour « complicité de faux et usages de faux, de complicité, d’abus de biens sociaux et de blanchiment de capitaux », 306 426 000 francs CFA d’amende, 100 000 000 de francs CFA à payer à dame Rokeyatou Ouattara, la confiscation de ses véhicules, de son passeport…

Les deux autres co-accusés, qui comparaissaient libres, ont quant à eux été condamnés à 12 mois d’emprisonnement pour fausse déclaration sur les apports en numéraires, sans mandats de dépôt, puisqu’ils repartiront chez eux libres ce jour-là. La question qui a trotté dans l’esprit du Pachyderme est de savoir de qui a été complice Sangaré Lanciné pour être condamné à 10 ans de prison et à des amendes aussi lourdes ? Quelle expertise ? Quel audit a été fait ?

Pourquoi Rokeyatou Ouattara a autant brillé par son absence durant toute la procédure ? Des questions que se posaient les proches du principal accusé qui peinent à croire en une telle condamnation sans qu’il n’y ait eu un début de preuve dans ce procès. Une procédure vide et une condamnation choquante
L’affaire Rama Transit a fait l’objet d’une procédure de plus de deux ans en cabinet.

condamné Sangaré Lanciné
Palais de justice d’Abidjan
Tout ce temps, les demandes de mise en liberté provisoire du prévenu Sangaré Lanciné ont été systématiquement rejetées du revers de la main alors que ses accusateurs brillaient par leur absence lors des convocations au cabinet du juge d’instruction. Plus surprenant, aucune pièce à conviction pouvant étayer les accusations de faux et usage de faux, blanchiment de capitaux… et tuti quanti.

Sangaré Lanciné condamné à 10 ans de prison fermes
Sa longue détention préventive avait finalement obligé le juge d’instruction du 5ème cabinet à rendre une ordonnance de « non-lieu partiel et de renvoi en police correctionnelle » le 26 août 2019, en exécution de l’article 217 du code de procédure pénale. Malgré tout, la liberté provisoire ne lui sera pas accordée.
Un avocat canadien coopté par la famille est même monté au créneau pour initier une procédure de plainte contre Rokeyatou Ouattara.

Le 3 décembre 2019, il a écrit une lettre de « dénonciation de situation carcérale illégale, abus de pouvoir, violation de droit national et international et violation de droits de l’homme » au Premier ministre canadien Justin Trudeau avec ampliations à plusieurs membres de son gouvernement ainsi qu’au Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly et son ministre de la Justice Sansan Kambilé.

Dans le courrier que L’Eléphant a pu lire, l’avocat n’y va pas de main morte. « Non seulement notre mandant fait face à une situation d’abus de pouvoir scénarisé, caractérisé, entretenu et toléré par les hautes instances judiciaires, administratives et politiques ou des personnes liées à ces instances ivoiriennes, mais force est de constater que cet abus a autorisé cinq violations, celle de la règle de droit interne ivoirienne et sa primauté, la violation des dispositions fondamentales de la Constitution ivoirienne;

Celle du droit international et pire pour une nation qui prétend montrer la voie de la résurgence en Afrique, une violation effrontée des droits de l’homme par une détention arbitraire et devenue illégale enfin en foulant le sacro-saint principe de la présomption d’innocence », lit-on dans le courrier. Au final, un procès expéditif en trois séquences, sans pièces à conviction étayant les charges, mais une lourde condamnation quand même, et des amendes énormes. Sur la base de quoi ? L’appel interjeté par les avocats de Sangaré Lanciné permettra certainement d’y voir un peu plus clair.

Gerard Koné (L’Eléphant déchaîné)

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