C’est un ballon d’oxygène pour les pays pauvres confrontés au coronavirus. Hier mercredi 15 avril, le G20, soit le club des pays les plus riches du monde, a décidé de leur accorder un moratoire d’un an sur le service de leur dette. Pour obtenir un allègement maximum de cette dette, le président en exercice de l’Union africaine (UA), le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, vient de nommer quatre envoyés spéciaux auprès des Grands de ce monde. Le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam est l’un de ces quatre mousquetaires. Ancien ministre ivoirien du Plan, ancien directeur général de l’assureur britannique Prudential, puis du Crédit suisse, Tidjane Thiam est une grande figure de la finance internationale. Il est notre invité.
Tidjane Thiam, après la décision du G20 finances, quelle est votre réaction ?
Tidjane Thiam : Je me réjouis, c’est une première étape. Comme vous le savez, nous avons insisté pour qu’une aide exceptionnelle soit dégagée en faveur de l’Afrique. Nous sommes face à une crise absolument exceptionnelle. Et partout dans le monde, des mesures exceptionnelles ont été prises. Donc nous avons souhaité, depuis le début de la crise, que des mesures exceptionnelles soient également prises en faveur de l’Afrique. Et ce moratoire qui vient d’être approuvé par le G20 va apporter aux États africains, au moins dans un premier temps, les moyens d’agir rapidement et efficacement, on l’espère, contre la pandémie.
C’est un moratoire sur le remboursement du capital ou sur le remboursement des intérêts de la dette ?
L’idée c’est, le principal et les intérêts. Parce qu’en fait, d’où est venue l’idée d’un moratoire ? Si, par une opération, on arrivait à suspendre ces paiements-là, les gouvernements auraient immédiatement des ressources sur place qu’ils pourraient utiliser pour lutter contre la maladie. C’est une idée très puissante et tout le monde voit, maintenant, que c’est la manière la plus rapide de mettre de l’argent immédiatement sur le terrain pour agir au profit des populations, plutôt que d’attendre des décaissements qui, dans le meilleur des cas, mettront plusieurs semaines à arriver dans les différents pays.
Cela représente quelle somme environ ?
C’est difficile à chiffrer, mais disons qu’en gros on aurait dû payer cette année quelque chose comme 44 milliards d’intérêts et une grosse partie va être reportée. Ce sont des sommes très, très significatives et à la mesure du choc économique que subissent les économies africaines.
Sur les 44 milliards que les pays débiteurs auraient à payer cette année 2020, ils feraient l’économie de 12 milliards. Vous confirmez ce chiffre ?
Je ne connais pas ce chiffre, mais je pense que l’économie sera beaucoup plus importante que 12 milliards. C’est vraiment très, très significatif. Et surtout, encore une fois, ça va aller immédiatement à des dépenses urgentes qui sont indispensables pour maîtriser la pandémie. Du point de vue des spécialistes de santé – j’ai parlé à quelqu’un comme Tom Frieden, qui a été le patron des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) pendant dix ans -, ce qu’ils m’ont tous expliqué, c’est que le confinement est peut-être nécessaire, mais que vraiment la solution c’est de tester. Parce que, malheureusement, l’appareil hospitalier n’a pas la capacité de traiter un grand nombre de malades, ce qu’il faut faire à tout prix, c’est éviter l’augmentation très forte du nombre de malades. Donc il faut tester, dépister, identifier les personnes qui ont été en contact, isoler et traiter.
Première réaction de la Plateforme d’ONG dette et développement : « Ces dettes ne sont pas annulées, du coup les remboursements attendus en 2020 seront toujours dus en 2021. Ils seront même majorés des intérêts accumulés sur la période, et la dette, l’année prochaine, sera d’autant plus insoutenable ».
C’est exact, mais nous étions face à une crise urgente. Tous les jours, il y a des gens qui meurent. Dans une phase aigüe du coronavirus, deux jours d’attente, c’est un doublement du nombre total de morts. Donc il y a un sentiment d’urgence depuis qu’on a commencé ce travail, on travaille vraiment d’arrache-pied. Donc il est clair qu’il s’agit d’un moratoire, mais cela nous laisse le temps de prendre des mesures plus permanentes et de traiter, le cas échéant, la question de la dette et d’avoir des restructurations là où elles sont nécessaires. Mais comme disait quelqu’un que je connais, « l’essentiel dans la vie est quand même d’abord de ne point mourir ». Donc là, on avait vraiment une urgence absolue et le seul moyen d’y répondre n’a pas été facile – c’était vraiment une campagne intense -, c’était d’obtenir des pays créanciers qu’ils suspendent le paiement et le service de la dette.
Cette campagne intense est menée, en effet, par le Sud-africain Cyril Ramaphosa et par vous, les quatre émissaires de l’Union africaine que vous êtes. Et comme les premiers créanciers sont chinois, est-ce que vous avez fait déjà une démarche particulière auprès de Pékin ?
Clairement, la Chine est devenue, avec l’expansion de son activité en Afrique, un créancier important. Donc évidemment, nous avons un dialogue avec la Chine et les chefs d’État africains aussi ont un dialogue avec la Chine. Donc évidemment, il y a déjà eu des démarches vis-à-vis de la Chine. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elle participe à ce mouvement. Vous observez déjà que le G7 a fait aussi un communiqué confirmant l’accord du G20, donc la Chine ne s’est pas opposée à ceci. Je suis confiant que la Chine va participer à ce grand mouvement international de solidarité avec l’Afrique.
C’était sur RFI, le président français Emmanuel Macron veut aller plus loin que ce moratoire. Il propose une annulation massive de la dette africaine. Est-ce que c’est possible, cette année 2020 ?
Il faut voir. Je crois qu’il y a deux temps dans cette affaire. Dans un premier temps, il fallait traiter la crise et trouver une solution pragmatique pour permettre à chaque État d’avoir rapidement des ressources disponibles et c’est ce que réalise le moratoire. Maintenant, il est clair que nous sommes partis d’une situation qui n’est pas vraiment favorable. Il faut quand même voir que la dette en Afrique a beaucoup augmenté. Avant que le coronavirus n’augmente, on était à un ratio de dette sur PIB d’environ 108%. Avec le coronavirus, les recettes baissent, donc on va arriver rapidement à 150%. Donc il est clair que dans cette situation, il y a des pays qui vont être sous pression. Oui, il va falloir envisager des remises ou des annulations de dettes. Donc je pense que, sur ce plan-là, le président Macron a soulevé un problème qui est réel et auquel il va falloir s’attaquer dans les mois qui viennent. Mais au moins on s’est donné là le ballon d’oxygène qui permet de regarder tout cela, pays par pays, et de trouver de bonnes solutions, des solutions adaptées à chaque pays, parce que, comme on le sait, la situation dans chaque pays africain est différente.
Il y a l’allégement de la dette et il y a la mobilisation de fonds nouveaux, notamment grâce aux droits de tirages spéciaux du FMI. On parle de 500 milliards de dollars. Qu’est-ce qui garantit les bailleurs de fonds que ces centaines de milliards ne seront pas détournés, ne finiront pas dans les comptes offshores de quelques familles très proches de tel ou tel pouvoir ?
Premièrement, les chefs d’État africains ont tous exprimé, sans ambiguïté, leur engagement à s’assurer que le geste qui est fait là par la communauté internationale soit mis à profit par l’Afrique. Ça, c’est vraiment important. Un nouvel élément qui est différent par rapport à il y a dix ou quinze ans, c’est la technologie. Quand nous regardons un certain nombre de pays, on voit comment on peut utiliser la technologie pour distribuer des fonds aux populations. Par exemple, au Kenya, on a souhaité que les paiements puissent être faits par téléphone mobile. Le gouvernement au Kenya a déjà fait passer une loi pour annuler les frais des taxes sur les transferts mobiles, ce qui va permettre de mettre tout cela en œuvre. Très rapidement, tout le monde est mobilisé. Tout le monde comprend que le coronavirus, il faut le battre partout. C’est pour cela aussi qu’on a créé ce groupe panafricain. C’est pour que nous fassions preuve de solidarité entre États africains et que nous résolvions ce problème partout en Afrique et dans tous les pays.
rfi